Passant près du pommier, un bruit mat. Dans l'herbe verte, une pomme, rouge. Sa peau sous les doigts est lisse. Son parfum. Sa chaire est ferme et juteuse. Son goût est à la fois sucré et acidulé.
Cette pomme a la saveur du bonheur, pas
seulement parce qu'elle est agréable à l'intérieur de la bouche. Le bonheur d'être là, d'entendre
le son bref de la chute du fruit, sur le sol, de le découvrir,
rouge, caché dans l'herbe verte, de le tenir dans la paume de la
main, de sentir sa forme ronde avec les deux petits cratères,
d'admirer sa peau brillante, d'être envahi par son parfum subtil, sa
pulpe sucrée, parfois amer, parfois acide, rafraîchissante,
apaisante...
Un nombre infini de sensations, qui
s'unissent, se fondent, dans la simple présence, unique,
inexprimable, car au delà des sensations, au delà du bonheur, au
delà du fruit, au delà de la conscience d'être ceci ou cela, de
vouloir ceci ou cela.
Il a suffit d'être là, sans rien
vouloir de spécial, de ramasser une pomme qui se présente, là,
devant. De ne rien exiger de cette pomme, de la laisser simplement
être une pomme, c'est à dire une forme, un parfum, une saveur,
etc...
Et si la pomme avait été véreuse ou
pourrie ? Je l'aurais immédiatement jetée, en pensant, peut être, avec
bonheur, que d'autres êtres connaîtraient la saveur de cette pomme.
Mais qui connaît leur histoire ?
C'est difficile d'entendre le
son de la chute d'une pomme quand on vit dans une ville agitée,
qu'on est envahi par d'innombrables préoccupations. Pourtant il est
possible de préparer son esprit pour le jour où un pommier se
trouvera sur son chemin.
A moins que notre esprit soit lui-même
la terre qui donne vie au pommier et qu'il surgisse un jour du sol,
chargé de pommes...Mais une terre, il faut en prendre soin.