LA RECETTE DE L'ABSENCE DE
PAIN
Le pain a été créé, et
nommé par l'homme, pour l'homme.
Quelqu'un réunit,
intentionnellement, dans la machine 500 g de farine, 310 ml
d'eau, un peu de sel, de levure boulangère.
Il met en route le pétrin
qui mélange les ingrédients pour en faire une pâte.
Ensuite la chaleur, un peu
moins de 30 °, produite par la machine qui marche à l'électricité,
permet à la pâte de lever.
Dans la phase finale du
processus, une chaleur plus forte cuit la pâte.
Quand la machine sonne pour
indiquer que c'est terminé, quelqu'un soulève le couvercle,
retourne la cuve, et voit sortir … quelque chose qu'il nomme
aussitôt pain. D'ailleurs il l'avait déjà nommé pain, avant même
de le voir. Cependant, il est arrivé qu'ayant oublié de mettre la
petite hélice au fond de la cuve, l'ouverture du couvercle fasse
apparaitre un tas de farine desséché, durci... Ou alors l'oubli de
la levure, ou de l'eau, ou de la farine...ou de la mise en route.
Il faut que toutes les
conditions soient réunies ensembles pour que la forme pain
apparaisse.
Pour que quelqu'un achète
chacun des ingrédients, il est nécessaire que ces ingrédients
aient eux-même été fabriqués, par quelqu'un. La farine vient de
chez un meunier, qui lui même a acheté le blé chez un agriculteur.
L'agriculteur, a acheté les graines chez un semencier (à moins
qu'il ne produise lui-même ses graines), qui a produit des semences
à partir de plants de blé, dont il a planté les graines etc...
La première fois qu'un être
humain a fait l'expérience, qu'avec le grain d'une certaine plante
on pouvait faire une poudre qui, mélangée à de l'eau, faisait un
aliment, alors il a nommé cette poudre « farine », cette
plante « blé » et il a nommé ce mélange « pain ».
Et puis il a sélectionné les grains de blé pour obtenir de
meilleurs rendements et une meilleure qualité de farine et de
meilleurs pains...
Mais d'un certain point de
vue le blé existait déjà bien avant que l'être humain ne le
découvre et ne le nomme. Il a existé sous des formes très
différentes, avant de devenir un aliment. Ce sont certaines
conditions comme le climat, la nature des sols, les réactions
internes au sein de la matière etc...qui ont permis qu'une des
formes de la vie soit à un moment donné, cette plante appelé
« blé ».
Si on considère la théorie
de l'évolution, une « mutation » génétique, mieux
adaptée à l'environnement, a fait apparaître et perdurer le blé.
Dans cet environnement se trouve l'être humain, qui a sélectionné
et multiplié les plantes adaptées à ses besoins. Mais il a été
lui-même obligé de le faire en tenant compte des conditions
naturelles, propices au développement de la plante (climat, sol …).
Donc le blé est bien
« apparu » au moment où quelqu'un a découvert qu'il
pouvait être un aliment.
Le premier besoin de l'homme
(et de tout être vivant) est de se nourrir. Il est donc conforme à
sa nature que son désir premier soit la recherche de nourriture, et
par la suite, de produire ses aliments.
Revenons à notre pain.
Parmi les conditions
nécessaire pour qu' « apparaisse le pain, (au moment même
où quelqu'un a ouvert le couvercle de la machine à pain), il y a
quelqu'un qui a appuyé sur le bouton de mise en route de la machine
à pain. Mais il y a aussi, nécessairement, l'intention, de
quelqu'un, de fabriquer du pain. De la même manière que
l' « existence » de la farine a nécessité de
nombreuses conditions, cette intention est, elle aussi soumise, à
certaines conditions, comme : le désir de fabriquer un pain, le
désir de manger, le désir de montrer (à soi-même ou aux autres)
qu'on sait fabriquer du pain, la peur de manquer de pain, la colère
d'avoir échoué lors d'une tentative précédente (oubli de mettre
la levure par exemple!) etc...
Le pain dont il est
question, est-il « apparu » de lui-même ? Peut-on
dire qu'il était déjà « potentiellement présent »,
dans toutes les conditions nécessaires pour qu'il apparaisse :
l'eau, la farine etc... ?
Il y a quelqu'un qui décide
de mélanger certains ingrédients précis, selon certaines quantités
précises, parce qu'il sait qu'en procédant ainsi, la chose qui va
apparaître à l'issu du processus sera un pain. Il a créé
mentalement le pain par avance. Le pain est présent dans sa
conscience. Il est présent dans la conscience des boulangers depuis
des temps lointains.
Mais si quelqu'un d'ignorant
met de la farine, de l'eau, de la levure, du sel, dans un bol, met la
machine en route sans mettre l'hélice au fond du bac, et qu'il
revient trois heures plus tard, la chose qui lui apparaîtra ne sera
pas ce qu'on appelle un « pain », mais une substance sans
forme, ni nom.
Ni la farine, ni l'eau, ni
la levure, ni le sel, ne savent ce qu'est un pain et ne peuvent donc
décider de se mélanger. Pour que les ingrédients se mélangent il
faut qu'il y ait une hélice qui tourne.
Lorsqu'on dit qu'on mange du
pain fait avec du blé, de l'eau, du sel, de la levure, ça n'est pas
exact. On mange aussi toutes les autres conditions qui ont permis au
pain d'exister (la machine à pain, l'électricité, l'agriculteur,
le meunier, etc.). Ces condition n'ont pas de commencement, ni de
fin. Mais peut-on dire qu'on « mange des conditions » ou
alors qu'on « mange un processus » ?
Qui fabrique le pain, qui le
mange, si celui qui fabrique le pain et le mange est lui-même soumis
à des conditions et à un processus sans commencement ni fin ?
Toute chose ne peut exister
en dehors de certaines conditions, ni en dehors d'un processus
continue de transformations.
Ainsi, il n'y a pas
quelqu'un qui existe en dehors de certaines conditions, ni en dehors
d'un processus continue de transformations, de changement...
Donc :
- le monde extérieur et ce qu'on appelle notre esprit ne sont pas différents
- aucune entité, aucun soi, n'est apparu, n'existe, ni
ne disparaîtra
Jour après jour.