LA SOUFFRANCE EST UNE PENSEE

La souffrance dont il est question ne se limite pas à la douleur du corps ou du psychisme. Chacun peut observer qu'il ressent, avec plus ou moins d'intensité, des sensations désagréables, on dit aussi un mal-être ou un mal de vivre, même en l'absence d'épreuve (au sens habituel) à surmonter. Le plus souvent il y a une insatisfaction, à l'origine de la souffrance.

Il y aussi des personnes qui auraient de "bonnes raisons"  - comme une maladie grave - d'être malheureuse, mais qui semblent s'adapter à leur situation sans rien y ajouter.
En réalité toute sensation plus ou moins forte que quelque chose ne va pas est souffrance. Mais une sensation agréable est aussi génératrice de souffrance dès qu'elle cesse ou qu'on voudrait la prolonger ou la retrouver.
On croit souvent que les causes sont extérieures à nous, qu'on est victime des  circonstances, qu'on mérite mieux etc ... Ou alors on se dit qu'on est nul, que notre vie n'a pas de sens etc...Et les pensées se mettent en route... La colère, le ressentiment...
Et la souffrance est là.

La pensée séparée de la présence, de la simple réalité, est souffrance. 
Observez bien votre esprit, attentivement, sincèrement, surtout quand vous sentez que quelque chose ne va pas. Acceptez tout ce que vous observez sans rien ajouter.
Revenez dans l'instant, à la présence, à la situation telle quelle, à la douleur telle quelle, à la cause de l'énervement telle quelle, sans y ajouter une pensée, un jugement. 
Respiration après respiration, sensation après sensation, sans établir de continuité.
Ces pensées, ces jugements, ces peurs etc... surgissant d'au delà notre propre conscience, fabriquent et pérennisent l'idée que cet individu, moi, je suis tout cela (les pensées, les jugements, les peurs...).
Pourtant ces pensées, jugements, etc... n'ont pas d'existence réelle - elles naissent, elles se développent, elles meurent - . 
Il suffit, au moment même où ces pensées apparaissent (cette colère, cette sensation de mal-être etc...) de réaliser cette "irréalité" pour s'en libérer et ainsi se libérer de la souffrance.
Bien sûr, ce n'est pas facile, tellement on est empêtré dans les habitudes du mental, nos expériences passées... Des efforts sont nécessaires.
Pourtant quand on fait ces efforts, l'attachement à l'idée d'un moi se défait progressivement. On lutte moins pour défendre l'image qu'on se fait de nous même. Même si cette image ne disparaît pas. Même si dans certaines circonstances, elle reprend les commandes.
Se libérer de la réalité d'un moi ne signifie pas qu'il n'y a plus d'égo, mais cela signifie qu'il n'y a plus, ou de moins en moins, d'identification, d'attachement à cet égo.
Les souffrances du corps et du psychisme, la maladie, demeurent, mais si on n'y ajoute rien,  s'il y a simplement la présence à cette souffrance, alors on n'est plus cette souffrance. Il n'y a, finalement, plus personne qui souffre.
Ce qui n'empêche pas bien sûr d'agir, chaque fois que c'est possible, pour atténuer la souffrance (sous son aspect pathologique) du corps ou du psychisme. Parce que c'est naturel pour tout être de protéger son existence, et celle de tous les êtres.
 Mais par la présence à la réalité telle quelle, par la cessation des pensées étrangères à cette réalité,  la souffrance du corps ou du psychisme ne devient pas la souffrance d'un être, de quelqu'un,  et cet être ne devient pas cette souffrance.
 C'est la vrai liberté, à partir de laquelle on peut vivre totalement ce qu'il y a à vivre.

"Les poissons nagent dans l'eau et, aussi loin qu'ils aillent, l'eau n'a point de limites. Les oiseaux volent dans le ciel et, aussi loin qu'ils volent, le ciel n'a point de limites. Et pourtant, depuis le lointain passé, ni les poisons, ni les oiseaux n'ont jamais quitté l'eau et le ciel."  (Dogen, Genjô Koan)